L’importance de la nature dans le développement de l’enfant: des initiatives québécoises partie 1

Il faut bien l’admettre, nos sociétés occidentales sont basées sur la performance et la course contre la montre.  Du matin au soir, avec une majorité de familles où les deux parents travaillent, les cours auxquels il faut inscrire nos enfants, les devoirs, la garderie, les tâches ménagères et la préparation des repas, il reste de moins en moins de temps à nos horaires et d’énergie pour sortir à l’extérieur et profiter de ce que la nature a à nous offrir.  Ajoutons à cela le fait qu’il est aujourd’hui presque impensable, surtout pour un enfant habitant en ville ou dans un endroit ne disposant pas d’un jardin clôturé de jouer seul dehors, sans supervision, comme nous le faisions à son âge, la sédentarisation et l’omniprésence des écrans, et on se retrouve avec une société de plus en plus coupée de la nature.

Ce problème, bien qu’il ne soit pas encore reconnu dans les manuels médicaux, porte un nom bien connu dans les domaines de la santé et de l’éducation.  On parle de ‘’nature deficit disorder’’ ou ‘’trouble du déficit de nature’’ en français, un terme qu’on doit à l’auteur et journaliste Richard Lour qui fut le premier en l’utiliser, en 2005, dans son livre Last Child in the Woods.  Ce syndrome, vous l’aurez compris, fait référence au fait que les enfants passent de moins en moins de temps à jouer librement en plein air, particulièrement dans la nature, ce qui, pour de plus en plus de spécialistes, est une des causes majeures à de nombreux problèmes de santé tel l’obésité des enfants, la dépression et les troubles de comportements tel le trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.  Une étude menée par des chercheurs de l’Université d’Illinois et publiée, pour la première fois, dans le journal Applied Psychology : Health and Well Being, avancent d’ailleurs que les enfants atteints d’un TDAH qui jouent régulièrement dehors se porteraient beaucoup mieux que ceux qui passent leur temps entre 4 murs.  Leur concentration s’en trouveraient grandement améliorée de même que la maîtrise de leurs pulsions.  Il en serait de même pour les adultes vivant avec un TDAH.  Et une simple période de 20 minutes par jour, passée dans un espace vert tel un parc, serait déjà suffisante pour en observer les bienfaits.

Quelques chiffres en vrac :

  • D’après le Center for Disease Control and Prevention, le nombre d’enfants atteints d’obésité âgé de 2 à 5 ans a augmenté de 36% aux États-Unis entre 1989 et 1999.  60% d’entre eux ont un facteur de risque plus élevé de développer des maladies cardio-vasculaires. Les deux principales causes identifiées étant les longues heures passées quotidiennement devant un écran et le manque d’activités physiques.
  • Dans l’Union Européenne, l’obésité des enfants est considérée comme une des plus grandes menaces à la santé publique touchant 3 millions d’entre eux.
  • Une enquête britannique, commandée par la marque de lessive Persil et publiée en 2016, indique que 74% des enfants de 5 à 12 ans passent moins de temps quotidiennement à l’extérieur qu’un détenu.
  • En France, le rapport de la fondation Montaigne met en évidence le fait que les enfants de 10 ans passent plus de temps devant des écrans qu’à l’école.
  • Une enquête Suisse datant de 2016 indique que les enfants de Suisse romande jouent en moyenne 20 minutes par jour à l’extérieur et 32 minutes par jour pour ceux de Suisse alémanique. Dans les années 1970, ils passaient entre 3 et 4 heures par jour à jouer dehors.
  • Au Québec, une entreprise québécoise de chaussures et de vêtements dévoilait une étude en 2018 indiquant une baisse importante du jeu libre en extérieur chez les enfants de 3 à 12 ans de la grande région de Montréal. Leurs chiffres indiquaient que les enfants consacraient 45% moins de temps à des jeux libres extérieurs que leurs parents l’ont fait.  Seulement 23% d’entre eux jouent dehors chaque jour.
  • Dans son livre Viens jouer dehors, l’ergothérapeute et professeure à l’université Francine Ferland souligne que le jeu actif a diminué de 40 % en 30 ans alors que l’obésité a triplé.

La liste de bienfaits qui sont reconnues pour les enfants passant du temps en nature s’allonge d’années en années.  Que nous parlions du développement de la motricité globale et de l’imagination, de la chance d’apprendre à repousser ses limites tout en gérant le risque, des milliers de découvertes possibles, de l’augmentation de la concentration, de meilleurs résultats scolaires, du développement des compétences sociales de la diminution du stress ou plus généralement d’un meilleur épanouissement des enfants et d’une meilleure condition physique, on en arrive rapidement à se demander ce qui a bien pu provoquer, en une seule génération, la profonde modification de notre relation avec la nature.  Pour les spécialistes, la réponse est principalement la peur.   L’omniprésence des médias qui rapporte, en boucle, les événements dramatiques nous faisant croire, à tort ou à raison, que nous vivons dans une société dangereuse pour nos enfants, a sûrement contribué à cette peur.  Mais force est d’admettre qu’aujourd’hui, il est pratiquement impossible de laisser nos enfants jouer dehors sans surveillance sans ressentir une crainte certaine et un jugement de nos pairs.  Et cette crainte est souvent transmise à nos enfants comme dans cet exemple tiré du livre ‘’L’enfant dans la nature’’ de Moïna Fauchier-Delavigne et Matthieu Chéreau publié en 2019.

‘’Une matinée d’été non loin de Grenoble, dans un centre de vacances, une éducatrice entame un atelier de relaxation dans la nature avec un petit groupe de filles de 11 ans.  Elle leur demande, pour commencer, de se déchausser dans l’herbe.  La réaction est unanime : « Quoi ? Pieds nus ? Ça ne va pas la tête ?  C’est dégoûtant !  Il y a des bêtes. »   Une seule fillette ose finalement tenter l’expérience.  « Elle n’avait jamais marché pieds nus dans l’herbe et a trouvé ça génial », raconte l’éducatrice trois ans plus tard, encore marquée par cette expérience. ‘’

Devant tous ces faits, de plus en plus de gens tentent de trouver des solutions afin de  remettre un peu de nature dans la vie des enfants dans l’espoir que cela redevienne notre normalité.  Plusieurs initiatives voient le jour partout à travers le monde, mais aussi au 4 coins du Québec.  Avant notre départ, nous avons eu la chance de rencontrer certaines de ces personnes tentant de faire une différence.  Voici un premier portrait !  Vu la longueur de l’article, je vous proposerai les deux autres dans quelques jours!

 

Les explorateurs Montessori de Québec

Situé sur le boulevard Wilfrid-Hamel à Québec depuis septembre 2014, l’installation Les explorateurs Montessori accueille des enfants de 18 mois à 6 ans et sont présentement en démarche pour l’ouverture d’une pouponnière.  Originaire de l’Abitibi, la directrice et copropriétaire Sandra-Valérie Paquin considère que le fait que les enfants n’aient pas de contact avec la nature comme elle a eu la chance d’en avoir elle-même, est une lacune des grandes villes.  En collaboration avec son équipe et la Maison O’Neil de Québec, située à environ 1,5 km de son installation, elle a donc mis sur pieds, au printemps 2019, un projet permettant une sortie hebdomadaire en forêt de septembre à la mi-juin.

Ci-haut: Sandra-Valérie Paquin en sortie avec les enfants de son installation.  Crédit photo: Les explorateurs Montessori

Lors de notre passage, nous avons eu la chance de participer à leur toute première sortie.  Ici, il a été décidé qu’une trentaine d’enfants y participeraient, à tour de rôle afin de faciliter le transport et la surveillance une fois sur place.  Pour Mme Paquin, les objectifs de ce projet sont : « de donner aux enfants l’accessibilité à la nature mais aussi qu’ils puissent explorer le jeu libre et actif.  Nous souhaitons les laisser explorer leur imagination à travers la nature, leur permettre de se poser des questions, d’être libre dans ce qu’ils font. »

Pour elle, les adultes ne sont pas là pour initier le jeu mais pour leur permettre de se poser des questions sur ce qu’ils font, tant dans la gestion du risque que dans leur interprétation.   Par contre, comme selon elle, au moins 20% des enfants de son milieu n’ont jamais eu la chance d’aller en forêt : ‘’il faut parfois leur donner des idées, puisqu’il ce n’est pas tous les enfants qui sont habitués à être dans le bois comme ça.  Une fois que les idées sont là, ils embarquent et ensuite, on les laisse faire.’’

Ici, le transport des enfants se fait en autobus de l’installation jusqu’à la Maison O’Neil qui est entouré d’un magnifique boisé où coule une petite rivière.  Ils ont obtenu le droit de construire, sur place, et avec les enfants, un petit abri qui se transforme et s’améliore au fil du temps et des saisons et qui sert de point de rassemblement et d’endroit où lire l’histoire qu’ils amènent lors de chaque sortie pour un moment de lecture en forêt.

Selon la directrice, la réaction des parents à cette nouveauté a été très positive malgré une petite crainte quant à la gestion du risque et aux possibilités d’accidents.  « Dans l’ensemble, ils étaient très, très contents de cette possibilité-là », indique-t-elle.

Maintenant que le projet est bien implanté, j’ai eu la chance de rediscuter avec Sandra-Valérie Paquin il y a quelques jours afin de voir comment se portait son projet et si elle avait des suggestions à faire à ceux qui pourraient être tenter d’emprunter ce chemin.

crédit photo: Les explorateurs Montessori

Depuis septembre, des sorties ont lieu à chaque semaine et pour elle, il s’agit d’un projet qui demeure facile à faire et auquel le personnel de son établissement s’adapte bien !  Les parents sont de plus en plus convaincus des bienfaits de celui-ci et offrent maintenant régulièrement d’accompagner les groupes lors des sorties en forêt ce qu’elle voit de façon très positive : « Ils sont très ouverts à notre projet, ils nous font confiance.  On a un bel espace, il faut aussi dire que c’est sécurisant », souligne-t-elle.

L’organisation de ces sorties hebdomadaires est maintenant bien rodée.  « Chaque vendredi, je dresse la liste des enfants qui iront la semaine suivante et je fais un rappel sur l’habillement.  C’est là qu’est le gros défi.  Il manque souvent des items, mais graduellement, les parents s’ajustent.  Pour le transport, je loue un petit autobus de 30 places.  Nous partons vers 9h et nous revenons vers 11h. » indique Mme Paquin.

Évidemment, cette location à des coûts qui sont en majorité financée par de l’autofinancement, les parents n’ayant è payer que la différence : « Ça revient à 3,50$ par mois, soit le prix d’un café, pour offrir une expérience toujours inoubliable à son enfant », constate-t-elle.  Pour elle, rien ne vaut le bonheur de voir les tout-petits faire de magnifiques découvertes en forêt.  « Ils sont superbes à voir.  Lors de la première sortie de septembre, ils ont même pu cueillir de grosses pommettes.  Imaginez le plaisir pour eux de grimper aux arbres et de se nourrir après une grande marche », s’enthousiasme-t-elle.

crédit photo: Les explorateurs Montessori

Au niveau de la sécurité, le seul incident à être survenu c’est lorsque des chardons se sont accrochés aux vêtements de quelques amis, raconte-t-elle en riant.  Ça aura permis un moment d’apprentissage.

Au niveau des défis, elle m’indiquera que plus de 3 enfants sur 4 adorent ces sorties, mais que pour certains, ceux qui ne sont jamais allés en forêt, l’adaptation est un peu plus difficile.  « Ces enfants traînent un peu et demandent à quitter, ce qui est un peu décevant pour nous.  Alors nous en discutons avec les parents les incitant à sortir marcher avec leurs enfants, à moins utiliser la poussette », ce qui fait une réelle différence selon elle.

crédit photo: Les explorateurs Montessori

Au fil des sorties, ils se sont bâtis un sac de ‘’survie’’ contenant une trousse de premier soin, un marcheur et du matériel de survie qu’ils amènent toujours avec eux.  À ce sac s’ajoute toujours un livre pour la période de lecture et un petit chariot qui permet aux enfants de ramasser des branches, des feuilles ou autres objets qu’ils trouvent en forêt, ce qu’ils apprécient particulièrement.

Ce beau projet est maintenant bien ancré dans la routine de l’établissement et aucun retour en arrière n’est envisagé. Quelle belle initiative!

crédit photo: Les explorateurs Montessori

À bientôt pour la seconde partie de cet article!

Pour aller plus loin:

Livre L’enfant dans la nature: https://www.fayard.fr/documents-temoignages/lenfant-dans-la-nature-9782213712161

Livre Last Child in the Woods: http://richardlouv.com/books/last-child/

Livre Viens jouer dehors: https://www.editions-chu-sainte-justine.org/livres/viens-jouer-dehors-232.html

Les explorateurs Montessori de Québec: https://www.explorateursmontessoriquebec.com/

https://www.facebook.com/montessoriquebec/

 

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1 Comment

  1. 25 November 2019 / 13 h 24 min

    Le plein air est en general un mouvement impromptu et un environnement sensoriel, surtout si vous vous allez d arbre en arbre dans la foret, ou lorsque le terrain est moins regulier et previsible. Lorsque les enfants ont la permission de bouger dans ces environnements et les explorer, cela augmente un bon nombre de leurs habiletes requises pour developper le savoir-faire physique. Cela contribue aussi a la resistance physique a un tres jeune age.

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