Récit d’une journée dans un jardin d’enfants dans la forêt

À l’heure où les enfants et leurs parents jonglent avec des horaires de plus en plus chargés, où les écrans font partie intégrante de nos vies et où il est de plus en plus difficile de faire la part des choses entre gestion du risque et surprotection, force est d’admettre que nos enfants passent de moins en moins de temps à jouer librement dehors et encore moins dans la nature.  De plus en plus de spécialistes avancent que cette réalité pourrait expliquer, en grande partie, l’obésité et la dépression chez les jeunes ainsi que les nombreux diagnostiques de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.  Devant ces constatations, des initiatives toutes plus intéressantes les unes que les autres, voient le jour, un peu partout dans le monde afin d’aider les enfants à se reconnecter avec la nature. Ces initiatives ont souvent pour modèle les pays scandinaves, car dans ces pays, il est tout à fait normal pour les tout-petits de passer leur journée en pleine forêt, beau temps, mauvais temps.   Au Danemark, c’est plus de 20% des enfants de 3 à 6 ans qui fréquentent un des quelques 700 jardins d’enfants de la forêt que compte le pays.   Aujourd’hui, je vous invite à partir à la découverte de l’un d’entre eux.   Située à Stenlose en banlieue de Copenhague, il accueille les tout-petits depuis près de 50 ans.

L’arrivée

Entre 7h00 et 9h, les enfants sont accueillis au camp de base que les éducateurs appellent la maison.  Il s’agit d’un bâtiment contenant des toilettes, un vestiaire, une grande salle et un grand terrain extérieur avec mini-jardin, carré de sable, terrasse extérieure pour faire de petits projets d’arts, maisonnette et palettes de bois que les enfants transforment à leur guise.  Il y a de la boue et de l’eau partout.   Une clôture entoure le jardin, mais la porte de celle-ci est souvent grande ouverte et les enfants pourraient facilement quitter l’environnement.  Mais ils ne le font pas.  Jamais.  Charlotte Jensen, la directrice du jardin d’enfants, nous dira que c’est parce que justement, les enfants savent qu’ils pourraient le faire et savent ce qui se trouve de l’autre côté.  Ils ne ressentent donc pas le besoin de quitter, contrairement aux services de garde traditionnels où elle a déjà travaillé.  Et puisque les éducateurs se promènent de l’intérieur à l’extérieur afin d’aider les enfants à aller à la salle de bain ou à enfiler leurs vêtements de saison pour passer la journée à l’extérieur, les enfants restent calmement seuls dans la cour, à jouer entre eux, concentrés sur leurs activités.

Ici, tous se sentent le bienvenu, enfants, comme parents, et même les nombreux étrangers de passage pour visiter ce jardin d’enfants hors du commun.  À notre arrivée le premier matin, l’éducateur Jorgen Pedersen, que tous appellent Akke, n’avait pas été avisé de notre venue.  Quand nous lui avons exposé le sujet de notre présence, il nous a tout simplement dit que les invités étaient toujours les bienvenus ici et que c’était un plaisir de nous avoir là, et il a pris le temps de nous présenter les enfants et de nous expliquer le déroulement de la journée avant d’aller rejoindre Victor, 5 ans avec qui il travaillait à la construction d’une structure à même le sol sur lequel les enfants pourront déposer leur sac à dos pour qu’il ne traîne pas dans l’eau ou dans le sable en attendant le départ pour la forêt. Pour se faire, Victor utilise une scie et un tournevis électrique.   L’éducateur profitera de l’occasion pour m’expliquer qu’ici, les enfants sont toujours inclus dans les projets et activités réalisés par les adultes, s’ils ont envie de participer.  Certains enfants sont occupés à faire des pâtés de boue, d’autres à dessiner, d’autres encore à faire du vélo ou de l’escalade sur les piles de palettes de bois. Un petit garçon de tout juste trois ans court, avec, dans les mains, un bâton plus long que lui.  Personne n’intervient pour exiger qu’ils changent d’activités ou pour s’inquiéter qu’ils ne se blessent ou ne se salissent.  Nous apprendrons rapidement qu’ici, les adultes ont pleine confiance au jugement des enfants et n’interviendront que s’ils sont réellement en danger.  Ici, beau temps, mauvais temps, les enfants passent la totalité de leur journée dehors, été comme hiver.  De toute façon, l’espace intérieur ne serait pas assez grand pour que les 31 enfants y soient confortables.  Comme le jardin d’enfants dispose de son propre autobus, les choix d’endroits où aller passer la journée sont grands.  Le bois où nous irons, le bord de la mer, la montagne, etc.  On choisit l’endroit le mieux adapté en fonction de la température et c’est parti.  Comme c’est la semaine de congés de l’automne dans les écoles du Danemark et qu’aujourd’hui, plusieurs enfants sont absents, Pixie, la grande sœur de Tila, trois ans, qui a elle aussi fréquentée cette école, a demandé à venir y passer la journée.  Elle est accueillie à bras ouverts par l’équipe.  Le groupe aujourd’hui, se compose de 12 enfants.

Le départ pour la forêt

Un peu avant 9h, la seconde éducatrice, Lene Salling arrive.  Dans quelques mois, cela fera 25 ans qu’elle fait partie de l’équipe de ce jardin d’enfants.  Quant au jardin d’enfants, il fêtera, au printemps, ses 50 ans en faisant probablement le plus vieux du Danemark.  Son arrivée sonne l’heure du départ.  Akke,  appelle les enfants qui laissent tomber leurs activités, accourent pour prendre leur sac et grimpent dans l’autobus qu’il conduira jusqu’au boisé où nous passerons la journée.  Un des plus jeunes garçons, Elliot, est fatigué ce matin.  Il pleure un peu, et ne semble pas avoir envie de quitter la base.  Un autre trouve son sac trop lourd et ne souhaite pas le porter.  Mais ici, c’est la règle, chacun est responsable de ses choses.  Après le lui avoir rappelé, l’éducateur poursuivra sa route confiant que Otto prendra la bonne décision.  Une fois arrivée dans l’autobus, son éducateur ouvrira son sac pour me montrer ce qu’il contient et nous nous rendrons compte du pourquoi il lui semblait plus lourd.  Otto a deux gourdes.  Une d’entre elles restera donc dans l’autobus pour le reste de la journée.  Outre cette gourde, son sac contient quelques fruits pour ses collations, son repas du midi et un sac hydrofuge contenant des vêtements de rechange.  C’est l’équipement de base pour tous.  L’autobus est équipé de sièges d’enfants et de ceinture de sécurité.  Une fois tous bien installés, l’autobus quitte la ”maison” pour se rendre dans une petite forêt située à environ 15 minutes de route.

Pendant le trajet, Lene fera l’appel puis en profitera pour lire une histoire aux enfants.  Elliot fera une petite sieste.  Une fois arrivée, chacun reprendra son sac et sortira de l’autobus avant de s’installer le long de celui-ci pour que les éducateurs procèdent au décompte.  C’est un des moyens utilisés afin d’apprendre aux enfants à compter, sans même qu’ils ne s’en rendent compte.  Dès que le décompte est fait, les enfants se rendent à l’espace couvert qui se trouve sur les lieux pour manger leur collation.  Aujourd’hui, il pleut.  Donc ce petit gazébo est le bienvenu pour éviter de se retrouver avec de la nourriture détrempée.

Au centre, se trouve un foyer.  Akke en profitera pour allumer, comme chaque jour, un feu.  Celui-ci servira à nous réchauffer, mais aussi, à  y faire cuire des aliments, comme ces marrons que nous ramasserons ce matin-là, et au fil des jours, les enfants apprendront à l’alimenter.  Il prendra aussi quelques minutes pour creuser un trou dans le sol sur lequel sera installé un siège troué en bois.  C’est ce qui servira de toilettes aux enfants pour la journée.  Le papier qu’ils utiliseront sera jeté dans un sac qu’ils ramèneront.  Ici, plusieurs enfants ont encore des couches.  Le fait de passer la journée à l’extérieur, même en hiver, rend souvent l’apprentissage de la propreté plus difficile.  Mais personne ne s’en inquiète.  Ça viendra en temps et en heure.

Le déroulement de la journée et les règlements

Après la collation, des enfants partent s’amuser autour du camp de base sous la surveillance de Lene, pendant que Akke propose, à ceux qui le souhaite, de l’aider à construire un jouet avec une grosse branche qu’ils ont trouvé par terre.  Aujourd’hui, ils feront un ”monster truck”.  L’éducateur sort des scies de différentes grosseurs (selon leur âge et leur habileté, ils auront un modèle ou l’autre), puis un économe à légumes pour que les petits de trois ans puissent enlever l’écorce sur la branche et des couteaux pour que les plus vieux puissent faire le même travail.  Ici aussi, l’habileté, la confiance et l’âge décideront de qui a droit à quoi.  Aucun enfant ne se sent brimé.  Ils savent qu’ils pourront l’utiliser librement quand ils auront bien appris à le manier.  Et les éducateurs sont en confiance.  Les enfants savent se servir de ces outils et connaissent les règles de sécurité.  Ils peuvent même aller travailler plus loin s’ils le veulent.  La seule règle sera de ramener son outil à la bonne place à la fin de son activité et d’être prudent.

Akke m’indiquera d’ailleurs que peu de règles existent ici.  Les éducateurs interviendront au besoin, mais uniquement en cas de danger ou après avoir bien observé la situation pour s’assurer de bien comprendre ce qui se passe.  Parfois, on attend une minute et on se rend compte que l’intervention n’est pas nécessaire.  Seules quelques règles sont là.  Au Danemark, de très nombreuses espèces de champignons poussent dans le bois.  Certains d’entre eux sont très toxiques.  Les enfants n’ont donc pas l’autorisation de toucher les champignons, peu importe duquel il s’agit, afin d’éviter les accidents.  Ici, on respecte aussi le vivant.  Les petits animaux n’ont donc rien à craindre des enfants qui les observeront avec plaisir, mais sans les blesser.  Pour avoir accès à un outil ou pour grimper aux arbres, il faut avoir appris comment le faire.  Une fois que les éducateurs sont certains que l’enfant répondra aux exigences, il n’a plus à demander la permission.  Et finalement, pour des questions de sécurité, les enfants ont le droit d’aller aussi loin qu’ils le veulent en autant qu’ils soient toujours en mesure de voir et d’entendre les autres.

Près du camp de base du jour, une balançoire de fortune conçue par Claus Wullf Jensen, un autre des éducateurs, à l’aide d’une corde et d’une branche, est accrochée à un arbre.  Les enfants y grimpent à tour de rôle à l’aide d’une bûche ou parfois, pour les plus petits, avec l’aide d’un autre enfant ou de Lene, et se balance vraiment très haut.  Plus loin, un arbre tombé, sous lequel un enfant a eu l’idée, il y a quelques années, de poser une bûche, sert de balançoire à bascule ou de cheval sautoir.  Les bouts de bois trouvés sur le sol deviendront tour à tour une épée, un fusil (ici, aucun problème à jouer avec des armes jouets), une rame pour un bateau, un drapeau ou une poutre, etc.  Les flaques d’eau et de boue ne sont pas hors limite.  Les enfants y sautent à pieds joints sans que personne ne tente de les en dissuader.  De toute façon, ils sont habillés en conséquence et les parents savent bien que leurs enfants reviendront sales du jardin d’enfants.  Et c’est ce qu’on attend d’eux.  Ainsi, on a la preuve qu’ils ont bien profité de leur journée.

Lorsque le projet de construction de Akke est terminé, c’est l’heure de la marche dans le bois.  L’éducateur m’explique qu’ils en font une presque chaque jour.  Ça permet aux enfants, même les plus tranquilles, de courir et de bouger, de faire de nombreuses découvertes (des nids, des animaux, des insectes, de nouvelles plantes, des noix et des petits fruits, un marécage, un lac, etc) et ainsi, les enfants comprennent mieux le passage du temps et des saisons puisqu’ils voient leurs endroits préférés se transformer au jour le jour.  Mais avant de partir, quelques comptines en mouvements sont chantées.  Et même s’ils les chantent en danois, nous les reconnaissons facilement.  Et oui, ”l’araignée Gypsie” et ”Tête, épaules, genoux, orteils” ont une version danoise.

Pendant la marche, ils nous amèneront voir les tipis qu’ils ont construits avec des branches, nous apprendrons à ramasser des marrons, nous montrerons les bons endroits pour trouver des mûres en saison ou les herbes qu’on peut manger en soupe.  Ils nous amèneront grimper sur cette immense roche qui est arrivé au Danemark lors de la dernière période glacière, en provenance probablement de la Suède ou de la Norvège puisqu’elle n’existe pas ici.  Sous celle-ci nous raconte Akke vit un des trolls qui pullulent au pays.  Les enfants essaient de le réveiller en frappant sur la roche avec leurs bottes.  Dommage pour nous, aujourd’hui, il n’avait pas envie de se pointer le bout du nez.    Ils courront de flaque en flaque, grimperont sur des collines et aux arbres et ne respecterons pas nécessairement les sentiers.  Ce n’est pas nécessaire.  Ici, ces règles n’existent pas.

Sur le chemin, nous tomberons sur des arbres qui ont été coupés lors de cueillettes sélectives pour assurer la bonne santé de la forêt.  Sur ces troncs sont écrits des numéros.  À la demande des enfants, intrigués par ces symboles, Lene s’arrêtera un moment pour les tracer et les nommer avec eux.  Encore une fois, un moment d’apprentissage que les enfants ne réalisent même pas.  Il en sera de même pour ces moments où ils écriront spontanément des lettres avec des bâtons trouvés sur le sol ou tenteront de trouver un objet qui fait le son ‘’aaaa’’.  Ces petits moments d’apprentissage font partie du quotidien, mais ne sont jamais forcés.  Au Danemark, on ne considère pas que les enfants de moins de 6 ans doivent avoir des connaissances académiques.  Bien entendu, on répondra à leurs questions lorsqu’ils en ont, on montrera à écrire son nom ou même à lire à un enfant qui en a le désir, mais on ne s’attend pas à ce que tous le sachent en arrivant à l’école.  Ils l’apprendront bien à ce moment.  Ici, on considère que les enfants doivent apprendre à habiter leurs corps, à vivre en communauté et à développer leur intelligence émotionnelle et leur dextérité.  Le reste ils l’apprendront rapidement quand ce sera nécessaire.  Cela dit, une des éducatrices, Kristina Gittesdatter étant très créative niveau artistique, prend occasionnellement les plus grands, ceux qui rentreront à l’école cette année là, avec elle.  Ils passeront alors la journée à la ”maison” à faire différents projets d’arts qui leur permettront de travailler certaines habiletés.  Les enfants, qui passent le plus clair de leur temps dans le bois, apprécient toujours ces moments spéciaux.

L’équipe d’éducateurs, une force pour le jardin d’enfants

Ici, chaque éducateur à sa force et elle est valorisée par ses collègues.  Kristina est créatrice et à plein d’idées nouvelles dû au fait qu’elle a commencé il y a seulement 3 ans.  Lene est excellente pour trouver des façons d’intégrer des apprentissages de bases avec les enfants sans qu’ils ne s’en aperçoivent, par le jeu.  Akke adore construire des jouets en bois et montrer aux enfants à utiliser les outils et Claus est le meilleur pour grimper aux arbres.  L’équipe est complète et diversifiée et assure le succès du jardin d’enfants.  Claus me dira d’ailleurs qu’ici, il a l’impression de pouvoir être lui-même et de vraiment offrir quelque chose aux enfants, ce qui lui manquait beaucoup quand il travaillait dans une garderie traditionnelle où il faisait souvent face au jugement de ses pairs puisqu’il osait sortir des sentiers battus.  Ils ont en commun un modèle éducatif basée sur la bienveillance, la confiance et le respect de chacun des enfants.  Un des enfants, par exemple, a énormément d’énergie.  Akke m’expliquera que bien que dans un autre milieu il aurait une étiquette, ici, il a la chance d’évoluer dans un environnement qui lui donne le droit d’être lui-même.  C’est à eux, en tant qu’éducateurs, de s’adapter à lui et de développer des outils pour l’aider et non l’inverse.  Il aura bien le temps pour les étiquettes plus tard.

La suite de la journée

Après la marche, c’est l’heure du repas.  Une fois de plus, retour à l’abri couvert.  Les enfants sortent leur dîner et le mange installé là où ils le souhaitent.  Les éducateurs changeront ensuite la couche de ceux qui en ont une.  L’après-midi se déroulera calmement, chacun vaquant à ses occupations selon ses intérêts et ses envies du jour.  Les éducateurs n’interviendront que très rarement.  Puis, vers 15h, ce sera le moment de retourner à la ”maison”.  Cette fois, dans l’autobus, on proposera un moment de méditation aux enfants, parce qu’à cet âge, on sait bien qu’ils ont besoin de repos.  Plusieurs d’entre eux s’endormiront.  Une fois arrivée à destination, les éducateurs laisseront donc la porte de l’autobus ouverte et dès qu’ils se réveilleront, les enfants en sortiront pour venir rejoindre leurs camarades dans la cour.  Peu à peu, les parents viendront chercher leurs enfants, jusqu’à 17h où tous seront de retour dans leur famille avant de venir rejoindre leurs amis le lendemain des étoiles plein les yeux!

 

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