Série Apprendre autrement: portion voyage!
Une des choses qui me fascine en voyage c’est tous ces apprentissages que l’ont fait, et qui viennent souvent bousculer des idées reçues ou qui nous forcent à nous poser des questions qui ne nous étaient jamais venu à l’esprit avant parce que, de toute façon, la réponse nous semblait évidente non? Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous une histoire qui est très loin de celle que je présumais être la bonne: l’histoire de la pomme de terre! Vue sa grande importance dans la cuisine du nord de l’Europe et les crises de la pomme de terre qui ont créés des famines terribles et poussées des millions d’Irlandais, d’Anglais et d’Écossais à quitter leurs pays pour pouvoir nourrir leur famille, il me semblait évident que cet aliment avait toujours fait partie de leur histoire et venait d’ici, non? Et si je vous disais, qu’en plus, elle était à l’origine de la quasi disparition de la langue irlandaise, aussi appelé gaélique irlandais, et du long combat pour la préserver? C’est l’histoire que j’ai envie de partager avec vous aujourd’hui!
La petite histoire de la pomme de terre!
La fameuse tubercule qui est à la base des stews irlandais, anglais et écossais et des fameuses frites belges, symbole, s’il en est un, de la cuisine de ces pays vient… d’Amérique du Sud! Plus particulièrement de la zone côtière ouest où se trouve aujourd’hui le Pérou. Son histoire débute il y a un peu plus de 10 000 ans avec celles des Amérindiens, chasseurs-cueilleurs de l’époque Néolithique, qui vivaient à cet endroit et qui, malgré les propriétés toxiques de la pomme de terre ont réussi, tout doucement, à la domestiquer, au fur et à mesure que leur style de vie passait de nomade à sédentaire. Les premières plantations connues apparaîtront il y a environ 8000 ans dans la région du Lac Titicaca.
Qu’on la classe dans la catégorie des légumes ou dans celle des féculents, vous aurez compris que puisque qu’elle est indigène à l’Amérique du Sud, le règne de la ”patate” ne peut pas remonter à très loin en Europe. Et pour cause! Il faudra attendre le 16e siècle pour que les Conquistadors espagnoles rentrent au port avec des barils de maïs et de pommes de terre venus de ces lointaines contrées! Et même alors, elles ne s’ajouteront pas au menu des Européens puisqu’elles seront d’abord objet de curiosité pour les botanistes et les rois et feront office, pour les ecclésiastiques de… médicaments! Ce n’est qu’au début du 17e siècle que les Européens commenceront à s’y intéresser en temps que nourriture et que sa culture, quoi que sporadique, commencera. C’est alors la consécration! Non seulement cet aliment s’adapte extrêmement bien à la culture en sol européen, mais il se conserve très longtemps, s’apprête facilement et est bourratif. Poussée dans les campagnes par les famines et les guerres, la culture de la pomme de terre s’étendra alors à une vitesse folle gagnant presque tous les pays d’Europe ainsi que la Russie puisqu’elle permet aux plus pauvres de se nourrir beaucoup plus convenablement. Elle sera alors considérée comme un aliment miracle puisqu’elle sonnera la fin des famines en Europe. On lui attribue même, en partie, le succès des empires coloniaux au 19e siècle car elle aura permis à la population d’acquérir force et stabilité alimentaire, donc à l’armée d’être plus puissante. Elle représentera aussi le principal soutien à la révolution industrielle car elle permettra aux ouvriers se massant dans les villes d’avoir accès à une nourriture économique et facile d’accès. En très peu de temps, la pomme de terre aura complètement transformée le paysage alimentaire européen et sera devenue le principal aliment de la majorité de la population, principalement au nord du continent.
La crise de la pomme de terre
Cette dépendance à un seul aliment sera la cause d’une des pires crises que l’Irlande ait traversée. En effet, lorsque, en 1845, un champignon parasite, le ”mildiou” s’attaque aux tubercules et détruit, dès la première année, plus de 40% des récoltes, le pays tout entier est plongé dans une famine qui perdurera jusqu’en 1852. Il n’existe pas de décompte officiel du nombre de décès lié à cette crise, mais les experts estiment qu’environ 1 million de personnes auraient péri pendant cette période et 2 millions d’Irlandais auraient quitté le pays pour les États-unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Australie. En seulement 10 ans, la population de l’Irlande passa de 8 à 6 millions d’habitants et la fin de la crise n’arrêta pas le désastre, puisqu’un grand nombre d’Irlandais continuèrent de fuir le pays jusqu’en 1911. La population n’était alors plus que de 4,4 millions d’habitants.
Ci-haut, la réplique d’un des bateaux qui servi à transporter des milliers d’Irlandais en Amérique du Nord. Il peut être visité à Dublin
Par contre, cette crise, bien qu’exceptionnellement intense, n’était pas la première que traversait l’Irlande, qui avait eu à faire face à une famine tout aussi grande en 1780 sans que l’impact sur le pays ne soit aussi grand. Cette fois, c’est la mauvaise gestion de la crise qui créa l’ampleur de ce qui allait suivre l’apparition de ce champignon. Parce que bien que la pomme de terre ait effectivement été l’aliment essentiel de la très vaste majorité des Irlandais, même avec 40% de pertes, il y aurait eu suffisamment de nourriture pour tous. Mais, depuis 1780, les choses avaient changé. L’Irlande était devenue un importateur majeur de pommes de terre, et alors que, lors de la première crise, les ports avaient été fermé, cette fois, la pression des négociants protestants fit que les ports irlandais restèrent ouverts, et donc que le pays continua à exporter le précieux tubercule. Et alors que des familles entières mourraient sur l’île, des convois de nourriture escortée par l’armée partaient vers l’Angleterre. Certains propriétaires allèrent jusqu’à expulser les paysans qui, faute de récoltes, ne pouvaient plus payer leur loyer. La crise était véritablement lancée, et puisque l’anéantissement des récoltes se poursuivit pendant les 3-4 années suivantes, même les institutions de secours n’arrivèrent plus à aider.
À l’époque, les deux Irlande étaient unies et faisaient parties du Royaume-Uni (depuis 1921, seule l’Irlande du Nord y est toujours rattachée et cette crise de la pomme de terre est une des raisons majeures ayant poussé à la révolte en République d’Irlande). On se serait donc attendue à ce que la reine Victoria, alors souveraine du Royaume-Uni apporte son aide à la population de l’île n’est-ce pas? Et bien ce n’est pas tout à fait ce qui se passa. Alors qu’en 1845 la crise à laquelle faisait face l’Irlande attirait l’attention de la population mondiale et que le pape organisait une levée de fond pour l’île, le sultan ottoman Abdulmecit 1er déclara son intention d’envoyer 10 000 euros (une véritable fortune pour l’époque), pour les paysans irlandais, ce que refusa la reine, exigeant qu’il n’envoie que 1000 euros puisque elle-même avait donné 2000 euros. Il se plia donc à sa demande au niveau monétaire, mais envoya cette somme accompagnée de 3 bateaux remplis de nourriture qui finirent par arriver en Irlande, mais non sans avoir dû affronter les soldats britanniques qui tentèrent de les bloquer. Mais pourquoi agir ainsi? Probablement pour affaiblir la population qui parlait toujours une langue différente de l’anglais et enfin asseoir son pouvoir en Irlande.
La crise de la pomme de terre et le déclin du gaélique irlandais
Cette famine eue un effet catastrophique sur la culture irlandaise, principalement sur sa langue officielle, le gaélique irlandais communément appelé l’irlandais. Avant 1845, c’est 90% de la population qui parlait cette langue et la considérait comme sa première langue. Après 1860, ils étaient moins de 20%. Mais qu’est-ce qui explique ce changement majeur en si peu de temps? Il faut savoir que l’empire britannique tentait depuis longtemps de rendre l’Irlande anglophone, ce à quoi les Irlandais résistaient. Mais les nombreux morts qu’on entraîné cette famine ont laissé un très grand nombre d’orphelins dans le pays qui ont été placé dans des orphelinats anglophones où on ne permettait pas l’utilisation du gaélique irlandais. À cela s’ajoute le fait qu’un très grand nombre d’adultes ont quitté le pays pour s’expatrier vers des pays où la situation était moins difficile, et que ceux qui restaient n’avaient pas le choix d’apprendre à communiquer avec les Britanniques pour se sortir de la crise. Le gaélique irlandais, bien que toujours considéré comme la première langue officielle en République d’Irlande et comme une langue régionale en Irlande du Nord a bien failli disparaître à ce moment. En fait, elle est toujours en danger puisque seulement 2% de la population l’utilise véritablement comme première langue dans la vie courante. Mais de nombreux efforts, particulièrement en République d’Irlande, sont fait afin de la préserver. Au niveau politique, presque tous les ministres du Parlement irlandais, de même que le président, le premier ministre et le vice premier-ministre la parlent couramment et donnent des entretiens en gaélique irlandais. Pour devenir avocat, il faut obligatoirement réussir un examen oral dans cette langue et jusqu’en 2005, il était essentiel pour les policiers d’avoir un bon niveau de connaissances de la langue officielle. Jusqu’en 1973, il était obligatoire d’enseigner le gaélique au secondaire, mais cette loi est tombée puisque la population a considéré qu’il était préférable pour les jeunes d’apprendre une autre des langues de l’Union européenne comme le français ou l’allemand afin de leur donner plus de chances d’emplois. Par contre, tous les élèves qui fréquentent des écoles financées par l’État doivent l’étudier, sauf s’ils sont en difficultés d’apprentissage ou qu’ils ont passé de nombreuses années à l’étranger. L’affichage en République d’Irlande se fait obligatoirement en anglais et en gaélique irlandais, et de plus en plus d’écoles où la langue d’enseignement première est le gaélique irlandais voient le jour dans le pays. On les appelle ”Gaelscoileanna” et elles vantent leurs mérites en promettant que les enfants qui les fréquentent seront parfaitement trilingues (gaélique irlandais, anglais et français) à la fin de leur scolarité. Aujourd’hui, c’est plus de 75 000 enfants qui y sont inscrits et ce nombre augmente chaque année. Par contre, la responsabilité de sauver la langue repose entièrement sur les épaules de ceux qui sont convaincus. Le pari n’est donc pas gagné, mais l’espoir est là.
Nous espérons avoir la chance, d’ici la fin du voyage, de repasser en République d’Irlande afin d’aller couvrir les écoles gaéliques. Mais d’ici là, j’espère que ces quelques informations vous auront intéressé! N’hésitez pas à me laisser un commentaire!
À bientôt,
Geneviève
Vraiment intéressant. Je connaissais en gros l’histoire de la pomme de terre et de l’importance qu’elle avait joué pour l’Irlande et le drame qui s’en est suivi mais je n’avais jamais fait le lien entre cette culture et la quasi disparition de la langue gaélique dans ce pays.
Comment est-on arrive a cette situation? Comme pour beaucoup d’autres aspects de la societe irlandaise, on peut blamer les Anglais qui ont regne en Irlande. L’anglais etait la langue officielle de la politique et des affaires, et il n’y avait personne pour soutenir la langue et la culture irlandaises.