Le jeudi 12 mars, comme tout le monde sur la planète, nous apprenions dans notre petit appartement de Kuta à Bali, que les États-Unis fermeraient leurs frontières à tous les pays, à l’exception du Canada, dans les prochains jours. La même semaine, de très nombreux pays avaient fermé leurs frontières à l’ensemble des pays européens pour contrer la pandémie rendant notre retour au Québec par la route habituelle, impossible. Ce soir-là nous l’avons passé au téléphone: Ambassade du Canada en Indonésie, Bureau national du Covid-19, Poste frontalier canadien, bureau des visas en Indonésie, vérifications de nos enregistrements sur les listes des canadiens à l’étranger, Services Canada, etc. Partout la même réponse. Pour le moment, ne vous inquiétez pas. L’Indonésie est très peu touchée, vous êtes en sécurité là-bas et vous pouvez y rester le temps que vous avez prévu. Même qu’en fait, on nous laissait entendre que vu la quantité de Canadiens qui devaient revenir rapidement et qui se trouvaient dans les pays les plus touchés, il était préférable que nous n’engorgions pas le système en tentant de revenir immédiatement. Et c’était vrai. À ce moment, l’Indonésie ne signalait que très, très peu de cas et Bali n’en avait eu qu’un, une Britannique qui était arrivée avec de la fièvre et qui avait été immédiatement prise en charge à l’aéroport. Nous vivions, comme plusieurs le pensaient à ce moment, dans l’impression que les climats tropicaux étaient moins propices à l’éclosion de la maladie. Ce soir-là, quand nous nous sommes couchés, nous l’avons fait en nous disant que le lendemain, nous nous rendrions à l’épicerie pour se faire un petit stock de nourriture au cas où ça deviendrait plus difficile pour moi, avec mes allergies, de trouver les produits de base que je peux manger et c’est tout.
Quelques heures plus tard, en plein milieu de la nuit, Jakarta lançait l’alerte. Un grand nombre de cas s’étaient déclarés. La maladie avait atteinte l’archipel, et de façon fulgurante. Trois îles, dont celle de la capitale, étaient particulièrement touchées. Bali n’en faisait pas encore partie, mais on estimait que c’était uniquement parce que les tests étaient analysés à Jakarta. Les résultats prenaient plus de temps à arriver. Cette fois, la panique s’installait pour vrai. À notre réveil ce matin-là, le message tant redouté était sur nos portables: ”Rentrez le plus rapidement possible pendant qu’il est encore temps.” Ce fameux vendredi 13 restera à jamais marqué dans notre mémoire. Comment organiser un retour aussi rapide alors que de plus en plus de frontières et d’aéroports ferment, qu’il est totalement impossible, vu la distance, d’avoir un vol direct pour le Canada, et que tous les pays rappellent en urgence leurs citoyens? Évidemment, les compagnies d’aviations se sont rapidement mises à faire grimper les prix. Nous avons malgré tout eu de la chance. Nous avons pu trouver un vol pour la nuit de lundi à mardi, soit trois jours plus tard, à un prix acceptable, qui passait par Séoul et Détroit, et prenait 28 heures. Des rumeurs de plus en plus persistantes laissaient entendre que l’aéroport de Singapour ainsi que celles de Taïwan allaient fermer dans les jours suivants, il était totalement impossible de passer par l’Europe ou l’Afrique du Nord, alors il ne nous restait plus beaucoup de possibilités. Et maintenant, la longue et angoissante attente commençait…
Pendant les trois jours qui ont suivi, la panique s’est vraiment installée en Indonésie. Le gouvernement a coupé l’accès aux trois îles les plus touchées, dont celle de la capitale, les cas confirmés se sont multipliés et les touristes et expatriés de tous les pays se sont rués vers les aéroports privant l’archipel, particulièrement l’île de Bali, de sa source de revenue principale. C’est quelque chose à quoi nous pensons moins en ce moment de crise, mais pour les habitants des pays plus ou moins développés, où l’économie est d’abord basée sur le tourisme, comme à Bali, le coronavirus est doublement dramatique. Depuis la fin décembre, le tourisme était déjà au ralenti sur l’île dû à la crise. En effet, l’Indonésie avait choisi de fermer ses frontières aux ressortissants chinois qui prennent habituellement Bali d’assaut à cette période de l’année, privant l’industrie et les petits commerçants d’une bonne partie de leurs revenus. Notre départ en masse les privait de leurs derniers espoirs, le pays n’ayant pas les moyens ni les ressources permettant de venir en aide à la population qui peine déjà, en temps normal, à subvenir à ses besoins essentiels. Ici, la crainte de ne pas arriver à nourrir sa famille était souvent bien supérieure à la peur du virus. Nous aurions tellement aimé pouvoir aider plus que nous l’avons fait. Sincèrement, malgré la fait que la situation n’est pas évidente, il est important de prendre conscience à quel point nous avons de la chance ici au Canada, à quel point nous sommes privilégiés, encore plus aujourd’hui qu’en temps normal!
Puis, le jour du grand départ est arrivé. Nous nous sommes rendus à l’aéroport une boule au ventre, incapable d’être certains à 100% que nous pourrions nous rendre. À notre arrivée à Denpasar, nous avons appris que l’aéroport de Singapour n’acceptait plus aucun vol. Tous ceux qui devaient transiter par là ne pouvait donc plus partir. Le stress a encore monté d’un cran, surtout qu’à moins de trois heures du départ, nous étions toujours en attente, n’ayant pas encore le droit de laisser nos bagages et de franchir la sécurité. On nous disait que c’était parce qu’il y avait un nombre anormal de voyageurs dans le tout petit aéroport, mais tout le monde s’inquiétait que ce soit plutôt parce que nous ne savions pas si nous allions pouvoir quitter. Puis, à 1h30 du matin, l’avion a enfin décollé pour notre premier de trois vols. Un peu plus de 6h plus tard, nous arriverions à Séoul. La tension était palpable. Allions-nous pouvoir atterrir? Notre second vol allait-il pouvoir décoller? En arrivant à Séoul, nous avons bien cru que le voyage s’arrêtait là. En effet, à l’arrivée, une grande pancarte avec les noms de tous les américains et canadiens devant prendre le vol Séoul-Détroit nous attendait. Nous devions nous rendre au bureau de la compagnie d’aviation. Finalement, c’était pour nous indiquer que nous étions les chanceux qui avaient encore le droit de prendre ce vol et ils voulaient vérifier nos papiers et nous imprimer de nouvelles cartes d’embarquement. Les autres ne pouvaient pas aller plus loin. Il n’était plus possible de se rendre aux États-Unis pour les ressortissants des autres pays… Une fois à bord de l’appareil, nous avons été séparé les uns des autres. Nous devions laisser un siège entre chaque passager afin de respecter les mesures de sécurité. Mais cette fois, le stress pouvait tomber. Nous étions à bord d’un avion américain, il allait pouvoir atterrir sans problème aux États-Unis et de là nous étions sûr de pouvoir rentrer au Canada, d’une façon ou d’une autre. Lorsqu’il a pris son envol pour le long vol de 12 h, le soulagement était palpable. Cette fois, nous rentrions pour vrai.
Plusieurs heures plus tard, à Détroit, nous attendait une scène surréaliste. Cet aéroport habituellement bondé était complètement vide. Les commerces étaient tous fermés. Seul deux dépanneurs, le McDonald et le Starbucks étaient ouverts, et encore, il était impossible de manger sur place, on devait prendre un repas pour apporter. Partout, les écrans montraient la rediffusion de la conférence de presse de Donald Trump ce matin-là qui annonçait la fermeture immédiate de tous les commerces non-essentiels, et l’interdiction pour les restaurants d’ouvrir leurs salles à manger. Son discours laissait déjà entendre ce qui allait se passer le lendemain matin: la fermeture de la dernière frontière encore ouverte, celle avec le Canada. Dans l’aéroport, de nombreux agents étaient en poste, prenant régulièrement notre température et nous donnant ou non, l’autorisation de monter à bord de notre avion en direction de Montréal. Si nous n’avions pas leur accord dans l’heure précédant notre vol, il était impossible de monter à bord. Mais nous avions vécu la même chose à Bali et à Séoul. La sécurité était partout la même… jusqu’à Montréal. En effet, une fois sur place, quel choc. Pratiquement tous les commerces étaient ouverts, aucune sécurité, personne n’a pris notre température et tout ce qu’on a fait, c’est nous tendre, du bout des doigts, un feuillet avec des consignes sur quoi faire si nous avions des symptômes dans les prochains jours. En moins de 45 minutes, nous étions sortis de l’avion, nous avions passé la sécurité et les douanes, récupérés nos bagages et nous étions à l’appartement où nous allions passer notre quarantaine dans le quartier d’Hochelaga, et tout ça entre 16h45 et 17h30, un jour de semaine. Je vous l’accorde, il n’y avait personne sur la route entre l’aéroport et notre appartement, mais ça nous a tout de même pris moins de 30 minutes, en pleine crise mondiale, entre le moment où nous sommes sortis de l’avion et celui où nous sommes montés dans notre taxi. Et personne, a aucun moment, ne nous a demandé de nous confiner pendant 14 jours. C’était seulement écrit sur le feuillet que plusieurs s’empressaient de jeter à la premier poubelle venue. Oui, à ce moment, la quarantaine était une recommandation, pas encore une obligation, mais tout de même. Je pense que les raisons expliquant l’ampleur de la crise à laquelle nous devons faire face ne sont pas difficiles à comprendre…
De notre côté, nous avons choisi de vivre cette quarantaine à Montréal afin d’éviter d’avoir à prendre les transports en commun ou à demander à un membre de notre famille de venir nous chercher à l’aéroport. La belle-mère de David, qui travaille à Montréal en temps normal, nous a fait une épicerie avant de retourner en Abitibi pour la durer de la crise et nous avons passé les 14 jours suivants enfermés avant de venir nous installer dans le petit chalet de ma mère où nous passerons les prochaines semaines, avec mon fils, en attendant la fin de toute cette histoire, en espérant, comme vous tous que ce ne sera pas trop long.
À demain,
Geneviève